Discours de Mme Brigitte Bourguignon au Congrès "Urgences" 2022

8 juin 2022

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président de la Société Française de Médecine d’Urgence, Cher Karim Tazarourte,
Monsieur le Président de SAMU – Urgences de France, Cher François Braun,
Monsieur le Président du Conseil National de l’Urgence Hospitalière, Cher Pierre Carli,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureuse que l’un de mes premiers déplacements en qualité de ministre de la Santé et de la Prévention concerne ce Congrès, votre congrès « urgences ». Je sais le plaisir qui est le vôtre de vous retrouver en présentiel pour cette édition 2022, après deux années d’une crise sanitaire inédite, et je suis honorée d’être présente aujourd’hui à vos côtés.

Alors bien sûr, on aurait pu rêver contexte plus favorable pour ces retrouvailles présentielles, et pour ces échanges que j’ai souhaité avoir avec votre univers professionnel, celui des urgences, pré-hospitalières et hospitalières. Ces urgences qui sont, depuis des décennies, l’une des plus hautes illustrations du service public hospitalier, porte essentielle de l’accès aux soins pour notre population ; porte qu’il nous faut savoir à la fois adapter et préserver.

Et il se trouve qu’en un peu plus de deux semaines passées à la tête de ce ministère, pas une seule journée, que dis-je, pas une seule heure, peut-être, n’est passée sans que l’un ou l’autre des acteurs que j’ai rencontrés ne m’alerte sur la situation des services d’urgences de notre pays.

Et, au-delà des urgences, sur la fragilité de l’accès aux soins non-programmés en diverses parties de notre territoire, que je connais bien, habitant moi-même un territoire très concerné. Cette alerte, elle me vient des institutions, des représentants des professionnels, bien sûr, mais aussi des Français, avec qui j’échange quotidiennement.

Alors, que faire ?

J’aurais pu adopter la tactique bien connue de la discrétion, voire de la fuite. Considérer que le président de la République ayant consacré l’un des premiers déplacements de son second mandat à la thématique des urgences, le Gouvernement était quitte du traitement des difficultés que vous traversez. J’aurais pu continuer à organiser, dans mon bureau, des rendez-vous par ailleurs cruciaux de rencontre avec tous les acteurs du système de santé, et ne pas venir vous rencontrer, pour éviter la confrontation, éviter de croiser les regards pleins de doute de certains d’entre vous, comme je les comprends, et ceux dans lesquels la colère ou la désespérance couvent.

Vous le comprenez, tel n’a pas été mon parti. Telle n’est pas ma méthode, et telle ne sera pas ma manière de fonctionner à la tête de ce ministère. J’ai fait le choix de venir vous rencontrer, de venir vous écouter, de venir vous dire ce que j’aimerais que nous portions ensemble ce chantier.

Et je vous le dis sans détour : vous n’aurez pas affaire à une ministre qui minimise les difficultés, qui regarde ailleurs lorsqu’on lui montre les fragilités du système, qui se défausse lorsqu’il s’agit d’imaginer des solutions. Oui, assurément, la situation de notre système de santé est fragile. Oui, assurément, les risques de rupture dans l’accès aux soins de nos compatriotes sont réels, et je les vis au quotidien même s’ils ne touchent pas de manière homogène toutes les parties de notre territoire, et que je sais aussi que nos territoires regorgent de professionnels très innovants au service de nos concitoyens.

Ces difficultés, elles ne sont pas apparues du jour au lendemain. Elles sont, bien sûr, en partie le résultat des deux années de pandémie que nous venons de vivre ensemble et qui légitimement ont entraîné de la fatigue tant l’engagement a été de tous les instants. J’entends aussi le découragement de certains quand les fonctionnements « habituels » se réinstallent alors que la pandémie avait permis de remettre le collectif et le soin aux malades au coeur de l’exercice.

Ces difficultés sont aussi, et peut-être surtout, la manifestation d’évolutions plus profondes, qui touchent notre société avec des aspirations qui peuvent évoluer, et qui touchent aussi plus spécifiquement le domaine de la santé, qui fait face à des tensions notamment en matière de démographie soignante.

Ces difficultés, elles sont donc structurelles, et elles touchent non seulement les urgences, mais bien d’autres secteurs, en ville comme à l’hôpital. Je veux par exemple avoir une pensée particulière pour le secteur de la gynécologie et de l’obstétrique, au sein duquel les tensions sont, à bien des égards, aussi importantes qu’aux urgences, mais aussi à la pédiatrie, ou à la psychiatrie, fortement concernées, elles aussi, par un flux de patients non programmés.

Et puis la difficulté sur les soins non programmés, ce n’est pas seulement une difficulté sur les services d’urgences, c’est une difficulté sur l’amont, qui répond moins, c’est une difficulté aussi sur l’aval, où l’on peine à trouver des solutions d’admission des patients après leur passage aux urgences.

Ces difficultés, bien que n’en étant pas comptable, je les assume. J’assume tout autant de pouvoir dire qu’un effort absolument inédit a été consenti pour soutenir les soignants dans le cadre du « Ségur de la Santé ». Comme j’assume, en responsabilité, que nous devrons trouver collectivement de nouvelles solutions pour les dépasser. Nous sommes face à une situation où il n’y a pas d’autre choix, et je sais de mes échanges de ces derniers jours que ce besoin de transformation est souhaité de tous.

C’est donc la mission qui m’a été confiée par le président de la République et la Première ministre : ouvrir tous les chantiers de transformation de notre système de santé ; poser toutes les questions, même lorsqu’elles sont difficiles, ou lorsqu’elles appellent des réponses courageuses. Cette approche directe, cette volonté de dire la vérité et de parler de tout, nous les devons aux Français. Elles sont la condition de traiter vraiment les sujets, d’apporter des réponses structurelles à ces difficultés structurelles. Elles sont surtout ce qu’attendent de nous nos concitoyens : nombre d’entre eux nous le disent, nous l’écrivent, nous pressent de les aider à se repérer dans le système de santé, ou partagent leur inquiétude et leur désarroi face à la désertification de certains territoires, ou face à l’absence de solution offerte par le système à leur besoin spécifique.

Alors oui, nous parlerons de tout, sans totem ni tabou. Nous poserons la question du rôle que chaque acteur peut jouer, en responsabilité, pour surmonter cette crise. De la solidarité qui sera nécessaire entre toutes les composantes du système de santé. Des nouveaux métiers qu’il nous faudra inventer pour « bouger des lignes », comme on dit, pour décharger les soignants de certaines tâches administratives chronophages, pour concentrer la ressource médicale sur les actes comportant le plus de valeur ajoutée, en accélérant par exemple le déploiement de la pratique avancée. De la responsabilité qui doit être celle de chaque acteur, chacun faisant un effort ou un pas vers l’autre, et chaque effort se voyant dûment valorisé.

À titre d’exemple, je veux d’ores et déjà vous dire que je porterai une attention particulière à la contrainte que représente la permanence des soins, en ville comme à l’hôpital, et en particulier à la pénibilité du travail intensif de nuit. Celui qui fait un effort, et en particulier un effort plus difficilement acceptable dans la société d’aujourd’hui, nous saurons le reconnaître.

Avec la Première ministre, en lien étroit avec les élus des territoires, dont je sais l’engagement pour améliorer l’accès aux soins, nous porterons haut le regard et la parole des patients, et de leur famille. Nous associerons tous ceux qui veulent contribuer à la refondation, associations, professionnels, c’est le sens de la méthode voulue par le Président de la République, c’est aussi le sens de mon engagement politique, proche du terrain, et c’est donc la valeur que je porterai dans la transformation du système de santé.

Bien sûr, ce sera difficile. « Cela va tanguer », me dit-on déjà, comme une allusion au climat parfois tempétueux des bords de la Manche, que je connais bien. Mais voyons-le comme une opportunité : c’est sans doute dans la tempête que les lignes bougent le plus, et que naissent collectivement les solutions les plus innovantes, celles qui sont porteuses du plus grand impact pour nos concitoyens.

Et puis cet esprit de responsabilité et de solidarité, je l’ai aussi retrouvé dans toutes les rencontres individuelles et collectives que j’ai conduites depuis mon arrivée au ministère. C’est sans doute cette mobilisation solidaire qui nous permettra de trouver la meilleure voie de passage et de prendre toutes les décisions qui s’imposeront, au service des Français.

Sans attendre ce travail de fond, cette refondation du système, le président de la République a souhaité que certaines décisions soient prises très vite, avant même la période estivale.

C’est le sens de la mission que nous avons confiée au Dr François Braun, accompagné du Pr Tazarourte, du Dr Leveneur et du Dr Tortiget. J’ai entendu que certains s’étaient émus d’un nouveau rapport sur le sujet des urgences. Alors je le redis : ce n’est pas un énième rapport théorique.

Ensemble, par cette nouvelle méthode de concertation directe et locale, ces quatre professionnels de terrain ont la responsabilité d’arpenter notre pays et d’identifier toutes les solutions opérationnelles déjà mobilisées sur certains territoires, et facilement transposables dans des délais très courts, pour améliorer la prise en charge des urgences et des soins non programmés sur nos territoires. À court terme, bien sûr. Mais aussi en identifiant les grands sujets de transformation. Là encore, c’est de solidarité entre les acteurs qu’il s’agit, en particulier entre la ville et l’hôpital, mais aussi entre les métiers. Nous n’éluderons aucun sujet, et les décisions nécessaires seront prises à l’issue de la mission.

Et pour aller encore plus vite, sans attendre les conclusions de la mission, prévues pour la fin du mois de juin, le Gouvernement prend ses responsabilités face à la crise. Car je vous l’ai dit, nous assumons le qualificatif de crise pour cette période que nous traversons ; cela justifie pleinement que nous puissions disposer des outils et des souplesses nécessaires à la gestion de crise :

  • D’abord sur le pilotage territorial de la crise : j’ai demandé aux directeurs généraux des ARS de remobiliser les dispositifs territoriaux de gestion de crise et d’animation du collectif public, privé et ambulatoire. Ces rencontres font l’objet d’un format différent suivant les régions et les territoires, mais partout, l’objectif est de créer du lien, de la transparence, de la mobilisation solidaire pour répondre aux besoins de soins non programmés de la population,
  • En parallèle, nous avons décidé de réactiver le doublement de la rémunération des heures supplémentaires du personnel non médical, et du temps de travail additionnel des médecins, pour l’ensemble de la période estivale,
  • Les professionnels de santé retraités qui seront volontaires pour reprendre une activité de soins bénéficieront, de nouveau, de facilités de cumul de leur pension de retraite et de leurs revenus d’activités,
  • En outre, grâce à un dispositif exceptionnel qui est en train d’être mis en place, les élèves infirmiers et aides-soignants ayant achevé leur formation initiale en juin et juillet pourront commencer à exercer immédiatement, sans attendre la remise officielle de leur diplôme qui prend parfois plusieurs semaines. Ainsi, ces jeunes professionnels pourront travailler dans vos établissements dès cet été.

Autant de premières mesures, qui seront bientôt complétées par les propositions de la mission Braun, qui simplifieront le quotidien des équipes, et reconnaîtront les efforts réalisés. Car oui, ne nous le cachons pas, l’été sera difficile. Nous aurons, collectivement, la responsabilité de trouver des solutions pour que les Français ne soient pas privés de soins.

Je voudrais, à ce propos, saisir la tribune qui m’est offerte ici pour appeler chacun à la responsabilité sur le sujet. Non, je vous le dis, je n’accepterai pas que l’on fasse croire aux Français que partout, le système s’effondre. Ce serait méconnaître vos efforts, ceux de vos équipes et de vos confrères hospitaliers, ceux de vos confrères de ville, pour que la continuité et l’accès aux soins non programmés soit une réalité dans la majeure partie de nos bassins de vie.

Je n’accepterai pas non plus l’instrumentalisation politique de ce sujet. Ce sujet est trop grave pour que certains jouent aux oiseaux de mauvais augure, à prédire le chaos, à attiser les tensions, et tout faire pour créer de l’angoisse et des effets en cascade dans nos équipes soignantes. Les Français méritent mieux.

Vous l’aurez compris, c’est ainsi que j’entends fonctionner, et ce sont ces points de méthode sur lesquels je ne transigerai pas. Le dialogue, d’abord, avec tous les acteurs. Un dialogue exigeant, un dialogue respectueux aussi, des positions de chacun.

La transparence, ensuite. Nous la devons aux Français, ils veulent et ils doivent connaître la vérité, s’y retrouver aussi dans le système de santé, et c’est notre responsabilité de les y aider. Nous devons les aider à comprendre qui ils doivent solliciter, à quel moment ils doivent aller aux urgences, et à quel moment d’autres acteurs peuvent les aider à répondre à leurs besoins de santé de manière non programmée. Je veux aussi que nous puissions dire la vérité aux professionnels, c’est une des conditions du dialogue que j’évoquais à l’instant.

Le dialogue, la transparence, donc. Le courage, encore. Poser toutes les questions, même celles qui dérangent. Assumer des décisions que tous ne soutiendront pas, des compromis qui ne sont pas des compromissions, pour permettre de faire progresser le collectif.

Et le positionnement comme facilitatrice, enfin. Avec cette volonté de simplifier les fonctionnements, d’alléger les contraintes, de mettre en relation les acteurs et de leur permettre d’imaginer, au plus près du terrain, de nouveaux horizons. C’est, en toute sincérité, ce qui a guidé l’intégralité de mon engagement public, et que je souhaite continuer de porter aujourd’hui dans ce grand ministère.

Dialogue, transparence, courage, facilitation. Voilà qui doit trouver déjà à s’appliquer aux enjeux des urgences en ce début d’été 2022, et notamment dans les trois temps que j’ai rappelés pour les décisions à venir : celles qui sont immédiates, celles que nous prendrons à l’issue de la mission Braun, celles que nous prendrons dans le cadre de la conférence des parties prenantes.

Je vous l’ai dit, nous sommes fiers des urgences. Votre contribution à la gestion de la crise a été exceptionnelle au cours des deux dernières années, et votre engagement, à l’approche de l’été, continue d’honorer votre communauté.

Vous pourrez, résolument, compter sur mon soutien et mon engagement à vos côtés dans cette étape cruciale pour les urgences, comme pour l’ensemble du système de santé.

Je vous remercie.